Encadrement des transformations numériques

Protection des données personnelles, télépratique, intelligence artificielle... La liste des impacts des nouvelles technologies prend de l'importance. Le Conseil se penche sur la manière dont ils peuvent être traités dans le contexte des professions réglementéés. Un casse-tête qui prévoit innovation et adaptation pour le système professionnel.

Le début d’une « justice sans papier » pour les ordres professionnels?

Qui sait : le cliché du juriste qui promène sa valise pleine de dossiers d’une salle d’audience à l’autre sera peut-être un jour révolu? Après avoir profondément transformé nos vies quotidiennes et nos façons de travailler, la technologie frappe maintenant à la porte des instances de justice, là où le papier est roi.

En effet, alors que tout le monde gère sa vie au bout d’un téléphone ou d’un ordinateur, mais quand on se frotte au système de justice, on se perd souvent dans une marre de papiers!

Ce paradoxe donne toute sa raison d’être au projet-pilote de la « justice sans papier », qui constitue l’un des 20 chantiers mis de l’avant dans le cadre du projet de recherche sur l’Accès et au droit à la justice (ADAJ) lancé cet automne par l’Université de Montréal.

Cette initiative, qui regroupe 42 chercheurs et collaborateurs issus de neuf universités québécoises et 44 partenaires du milieu de la justice, vise à remettre le citoyen au cœur du système de justice et de rétablir la confiance envers celui-ci.

« Pour ce faire, on doit nécessairement améliorer l’efficacité des procédures judiciaires et cela passe par la technologie », explique Nicolas Vermeys, chercheur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et directeur scientifique du chantier « justice sans papier », aux côtés de Fabien Gélinas, chercheur et professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill.

Ces avancées technologiques pourraient non seulement constituer une véritable économie d’échelle pour l’État, mais contribuer aussi à mieux outiller les ordres professionnels dans leur mission de protection du public. « Plus les ordres professionnels sont efficaces dans le traitement des plaintes, plus vite le public sera informé et donc mieux protégé », explique Me Marie-Claude Sarrazin, avocate-associée au cabinet Sarrazin + Plourde et directrice du chantier de la « justice sans papier ».

Sept ordres professionnels du Québec collaborent au projet-pilote d’implantation de la « justice sans papier » en droit professionnel. Aux côtés du Barreau et de la Chambre des notaires, qui collaborent à ADAJ à titre de partenaires financiers, l’Ordre des ingénieurs, l’Ordre des dentistes, l’Ordre des infirmières et infirmiers, le Collège des médecins et l’Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) agiront pour leur part comme participants au chantier de la « justice sans papier ».

Ils collaboreront au développement et à l’implantation d’outils logiciels visant le passage au numérique de toutes les juridictions œuvrant dans le champ du droit professionnel, du dépôt des plaintes jusqu’à la publication des décisions disciplinaires, en passant par la transmission de la preuve.

« Nous avons beaucoup d’intérêt à participer, car un meilleur arrimage des technologies utilisées au sein des ordres ne peut mener qu’à une meilleure efficacité de l’administration de la justice et des comités de discipline», commente Christiane Vachon, directrice des affaires juridiques à l’Ordre des CPA du Québec.

Pourquoi le droit professionnel?

Le droit professionnel a semblé un terreau fertile pour implanter un premier projet d’application concrète, car des ordres professionnels et des instances juridiques se questionnaient déjà sur l’informatisation des procédures et se montraient ouverts au changement.

En plus de cette demande émanant du milieu, le droit professionnel a comme avantage d’être une sorte de modèle réduit du système judiciaire : c’est une justice privée qui ne comporte qu’une seule loi – le Code des professions –, et dans laquelle un nombre limité de personnes interviennent dans le traitement des plaintes (syndic, conseil de discipline, avocats et intimé).

« Ce milieu restreint est donc favorable pour tester l’implantation de certains technologies et processus avant de l’ouvrir pour une application plus large dans le système de justice», affirme M. Vermeys.

Développement d’outils ciblés

Ainsi, en collaboration avec le Laboratoire de cyberjustice, qui développe déjà des outils technologiques adaptés à la réalité des systèmes judiciaires, une trentaine de « modules » seront créés pour faciliter notamment le traitement des plaintes envers des professionnels : module de gestion de preuves, de gestion de la doctrine, des témoignages, des signatures, etc. Une sorte d’ « offre à la carte » à partir de laquelle les ordres professionnels pourront choisir selon leurs besoins spécifiques.

Ces outils logiciels seront développés en 2017 à la suite d’une tournée de consultation visant à connaître les besoins et les attentes des ordres professionnels participants, de même que celles d’organismes clés comme la SOQUIJ, l’Office des professions, le Bureau des présidents des conseils de discipline et le Tribunal des professions.

La Chambre des notaires, le Barreau, l’Ordre des ingénieurs, l’Ordre des dentistes, l’Ordre des infirmières et infirmiers et le Collège des médecins participeront aussi à la tournée de consultation, de même que des organismes clés comme la SOQUIJ, l’Office des professions, le Bureau des présidents des conseils de discipline et le Tribunal des professions.

« On cherche aussi une façon de répondre aux besoins des petits ordres professionnels qui traitent peu de plaintes par année. Des outils qui pourront faciliter leurs procédures », précise Me Sarrazin.

Le défi de la simplicité

Bien cibler les besoins et le profil des utilisateurs est crucial pour développer des outils qui seront véritablement utiles sur le terrain. Ce qui n’est pas toujours le cas, reconnaît M. Vermeys. « En ce qui a trait à l’implantation de nouvelles technologies, le risque zéro n’existe pas; souvent, des technologies qui s’avèrent inefficaces sont soit mal sélectionnées ou mal adaptées à leur clientèle cible. C’est pourquoi nous nous assurons de mettre les utilisateurs au cœur du processus de développement pour que tout soit compréhensible et le plus efficace possible pour tous.»

Fait intéressant : ces outils logiciels seront développés en code ouvert et pourront donc être accessibles et adaptables à l’ensemble des tribunaux et de la communauté juridique.

« L’utilisation des technologies est une façon plus efficace, plus durable et plus rapide d’organiser l’information et permet de mieux travailler en équipe, car on travaille tous à partir d’un même corpus d’information, renchérit Me Sarrazin. Nous sauvons ainsi du temps d’audition. De plus, on laisse de l’information utile au conseil de discipline, qui ne se retrouve plus devant une pile de papier au moment de délibérer : il y a une trace des arguments de preuve et des arguments juridiques présentés.»

L’implantation des outils logiciels de la « justice sans papier » en droit professionnel est prévue pour 2018.

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